Lorsque je recherche de nouveaux itinéraires destinés au désormais célèbre « Kloub Rando », je survole de cartes en cartes monts et vallées au hasard de l’inspiration, les yeux rivés sur les courbes de niveau bistres, les ruisseaux bleus, les forêts vertes et les pictogrammes rouges des infrastructures touristiques.
Si l’aigle guette la marmotte et le circaète la vipère, mon œil s’aiguise le long des tiretés dessinés sur ce papier magique, traits d’union entre les hommes appelés sentiers, chemins, traverses, passades… D’un coup, je me redresse dans un sourire intérieur. Ma mémoire me renvoie la photographie du lieu, l’odeur du sous-bois, le grain du rocher, la parole de l’ami. Là oui, la vue est belle et le cheminement ludique ! Après quelques instants de ce flottement béat, je déroule le fil de l’itinéraire : temps de route, parking, départ, dénivelé, difficulté du chemin, durée de la boucle…
La boucle, parfois évidente, est souvent audacieuse à la journée! Pourtant le montagnard redoute l’aller retour, en quête du nouveau, du mieux, certain que la vie est trop courte pour heurter le même caillou. Revenir sur ses pas, c’est retrouver l’esprit de la routine trop souvent vécue en bas, dans la vallée ou la plaine, la vie rythmée par l’horloge des mêmes obligations : la liberté de vivre, c’est la boucle !
Dimanche dernier, c’est finalement au moment de la sieste que le sentiment de liberté fut le plus abouti. Sans bruit, le temps s’est arrêté là-haut près du village de Gestiès, cher au cœur de tous les Ariégeois. Vous ne connaissez pas Gestiès ? Et pourtant, c’est dans ce petit village que naquit il y a cent cinquante ans celui qui devait faire vibrer d’émotion tout Ariégeois un peu trop éloigné de son pays de cœur et entonnant avec nostalgie et fierté l’hymne sacré « Ariejo, Ariejo mon pais ! ». J’avais épargné à mes compagnons d’aventure la reprise du refrain et nous dormions tous sereinement sous la protection du Pla de Montcamp après un repas agrémenté de gaieté, écartés de quelques mètres seulement de l’autoroute de l’itinérance pyrénéenne : l’illustre GR10.
Après la montée franche du matin sur les pas de ces milliers d’autres randonneurs, je guidais mon groupe enfin hors sentier en direction de la vallée de Siguer et des nombreux hameaux de granges aujourd’hui à l’abandon nichés sur le versant sud et abrupt de cette crête amicale. Sur la carte, les sentiers semblaient francs et accueillants. La concentration de ces petits bouts d’humanité, même désertés depuis au moins une bonne trentaine d’année me laissait espérer une après-midi champêtre et bucolique. Erreur !
La nature a horreur du vide. Et si les vaches et chevaux semblent encore parfois déambuler sur la partie haute du versant, plus doux, la topographie plus marquée de la zone reliant les constructions créa friche et jachère naturelle. Aussi, l’herbe délicieuse ou la céréale bienfaitrice laissa progressivement la place à la fougère et aux ronces, puis aux frêles bouleaux entremêlés tel un jeu de mikado… Et les sentiers, autrefois bien marqués, furent pris d’assaut par la fougue de cette végétation entreprenante et pressée. Ainsi, nous nous transformâmes en autant de sanglier pour nous frayer un passage et retrouver, après quelques dizaines de minutes d’un effort inhabituel pour certains, le sentier préservé d’une hêtraie salvatrice.
Personnellement, j’adore ces déambulations aventureuses qui titillent le corps et l’esprit. Se concentrer sur ses pas, choisir le bon passage en imaginant les choix des anciens, monter, descendre, déraper, bref « bartasser » au milieu de ce bout du monde bien de chez nous… quel pied ! Françoise, dont c’était l’anniversaire ce jour-là , se souviendra longtemps du « cadeau » offert lors de cette randonnée dominicale : une sieste royale en costume de sanglier !