Au moment où je lâche le descendeur sous le coup d’une vive douleur à la main, je sais que je viens de faire une grosse bêtise. Je reste pendu à mon rappel en fil d’araignée, coincé par mon « machard » comprimé sur la corde au dessus de ma tête…
De toute façon, la journée se déroulait étrangement depuis le matin alors que nous recherchions désespérément le départ d’une voie d’escalade entre les arêtes sud et sud est du Pic des Peyris, l’un des sommets de la rive droite des gorges d’Héric dans le Caroux. Peut-être avions-nous sous-estimé l’engagement psychologique d’un tel projet ? Souhaitions-nous véritablement grimper ou simplement nous extirper quelques heures d’un quotidien certes agréable mais… quotidien ?!
Pour ceux qui l’ignorent, le Caroux est un massif rocheux situé dans l’Hérault non loin de Bédarrieux, surplombant de son gneiss altier les villages de Lamalou-les-Bains et Mons-la-Trivale. Les botanistes pourront y découvrir une flore variée méditerranéenne dans les gorges (chêne vert, bruyère arborescente, romarin…) à montagnarde sur les hauts plateaux vers les mille mètres d’altitude (belle hêtraie sur le plateau surpolmbant les gorges d’Héric vers le village de Douch). Mais l’emblème de ce massif reste le mouflon, introduit de Corse à la fin des années 50 comme cela se fit dans les Pyrénées un peu plus tard dans le Capcir, le Massif de Tabe ou encore le Pibeste. D’une vingtaine au départ, on dénombre aujourd’hui plus d’un millier d’individus dans ces espaces ressemblant fortement aux montagnes de Corse du Sud, à la fois arides et faiblement enneigés l’hiver.
Suspendu dans le vide, je suis bien loin de ces considérations naturalistes ! Heureusement, l’escalade dans le Caroux exige un certain savoir-faire et pas mal de matériel, les voies n’étant pas équipées. Cela signifie qu’il faut poser ses propres protections afin de grimper avec un maximum de sécurité. Fissures et lignes de faiblesse permettent l’utilisation des coinceurs, anneaux de sangles et autres « friends », outils fantastiques de la panoplie actuelle de l’escalade en « terrain d’aventure ». Réussissant finalement par quelques « manips » plus ou moins réussies et de nombreuses gesticulations à me défaire de ce piège que j’avais moi-même tendu, je rejoins mes acolytes au pied de la falaise, utilisant au minimum cette main gauche blessée bêtement le matin même dans une étreinte mal contrôlée avec un chêne vert un peu trop entreprenant.
Mais qu’allait-il faire dans ce rappel ? Celui-ci n’était pas vraiment prévu au programme déjà chargé de la journée. Nous venions de terminer la dernière difficulté, un très beau passage aérien sur un rocher compact libérant l’accès au sommet des Peyris. Nous attendions la seconde cordée déambulant un peu plus à gauche sur la paroi lorsque le téléphone sonna.
$1- « Le premier de cordée est coincé sur une petite vire recouverte de mousse et de roches délitées sans possibilité de mettre une protection ! ».
$1- « Pas de soucis, on est au sommet. On redescend et on lui envoie le rappel pour qu’il puisse redescendre. Puis on le suivra vers le bas ».
Quelques minutes plus tard, il ne reste plus que moi à descendre de mon nid d’aigle, vérifiant une dernière fois la couleur du brin de corde à tirer une fois en bas pour ne pas coincer la corde en la récupérant… Vous connaissez la suite !
Comme le suggère le topo-guide décrivant les voies d’escalade recensées dans ce massif : « grimper au Caroux n’est pas, quoi qu’on en dise, un acte banal. Un parfum d’aventure flotte agréablement sur ces arêtes suspendues en plein ciel »… De retour au parking, c’est devant une bonne bière que nous méditons ces paroles sages et poétiques sous l’œil malicieux d’un circaète posé non loin de nous. L’escalade en terrain d’aventure exige compétence et concentration. A l’image des sorties hivernales dans la neige, ce ne sont en rien des actes anodins. Neige ?… En détournant la tête de l’ordinateur ce matin, j’aperçois les crêtes de l’Arize, du Picou à la Devèze, saupoudrées d’un blanc hésitant, pas encore mousse légère mais déjà promesse de nouvelles aventures…