Pour sa troisième rentrée, « Mon club rando » est rebaptisé « Kloub Rando » pour ne pas froisser les obtus de la législation associative. Rappelant une célèbre réplique de la cultissime pièce de théâtre « Le Père Noël est une ordure » (c’est klug !), cela me fait sourire à chaque fois que l’on prononce cette nouvelle appellation totalement déjantée…
Mais comme souvent, ce n’est pas l’habillage verbal qui « fait le produit » mais bien sa substance. Et là, pas de changement. Les sorties se déroulent toujours en montagne, régulièrement tout au long de l’année, à pied ou en raquettes, entre amoureux des grands espaces discrets, avec pour seule ambition d’en prendre plein les yeux et les poumons dans un esprit convivial indispensable. D’ailleurs, entre parenthèse, ayant passé quelques jours en Corse dernièrement, j’ai pu constaté qu’en dehors des grands sentiers mondialement connus que sont le GR20 et le Mare e Monti, seuls quelques mouflons, vaches ou cochons coureurs fréquentent les sentiers délaissés de la Corse profonde, entre à-pics impressionnants et vallons rocheux austères… La même réflexion me traversait l’esprit quelques années plus tôt au dessus du refuge du Couvercle en direction du sommet des Courtes dans le massif du Mont Blanc. Comme dans nos chères Pyrénées, il n’est de monde que vers quelques lacs ou sommets attractifs par leur renommée. Le GR20, la voie normale de l’Ossau ou celle du Mont Blanc en sont les exemples parfaits : rappeler dans une discussion que l’on a fait celui-ci ou celui-là impose un certain respect. Etre en montagne pour le bonheur que cela procure ou pour la position sociale que cela augure ? Peut-être ne suis-je pas le mieux placé pour philosopher sur le sujet en racontant ma vie montagnarde chaque semaine dans ces colonnes…
Neych ! C’est sûr, c’est loin du prestigieux Mont Blanc. Seuls les habitants de la vallée de Siguer badent ce petit cirque suspendu blotti sous le pic de Cancel. Enfant, dévorant les livres de montagne à disposition dans la bibliothèque familiale, je m’étais amusé du nom donné au pic des Redouneilles des vaches sur le circuit Peyregrand / Neych proposé par Grassaud et Véron dans les 100 randonnées à réaliser en Ariège. Plus tard, c’est sur le chemin des passeurs de l’Albeille que je découvrais depuis le col menant à Gnioure la beauté des lieux. En juillet, happé par la joie de courir en montagne, j’étais venu me dégourdir les yeux au milieu des petits lacquets qui sommeillent sous la cabane du berger et des chasseurs d’isards. Prévoyant le programme de l’automne du « Kloub » nouveau, j’imaginais le plaisir de mes participants depuis les pelouses situées au nord du Pic de Neych, au milieu des myrtillers déjà rougis par les premiers frimats de septembre.
Depuis le Bouychet, notre petite équipe remonte sans trainer (il fait 4°C aux premières heures du jour samedi dernier) mais admirative le chemin créé à coup de sueur par l’homme pour franchir les gorges du ruisseau de l’Escale. Mines, barrage, pastoralisme, l’exploitation des ressources en montagne exigea pendant longtemps de lourds travaux dans cette vallée perdue qui compta jusqu’à plus de 1500 âmes. Voie de passage vers l’Andorre par le lointain Port de Siguer, un poste douanier y demeura d’ailleurs jusque dans les années 60 !
A la cabane d’Auruzan, nous sommes accueillis par l’un des bergers de la vallée : « les troupeaux de brebis et de chevaux descendent aujourd’hui. Faites attention avec vos chiens aux patous ! ». J’accélère le pas pour éviter une confrontation dans la petite gorge qui mène vers la Coume du Four, au grand dam de certains qui soufflent après un été parsemé de longues siestes et d’apéros interminables… Le troupeau descend par le sentier abrupt de Neych, mené par Arsène, éleveur et berger de Centraus. Les patous aboient pour la forme mais nous sommes déjà à l’abri un peu plus hauts, bien calés pour admirer ce spectacle pastoral.
Mille mètres de dénivelé, il est midi et l’heure de se restaurer. Au réveil de la sieste, je mène à travers un tartier d’éboulis coriace mes acolytes jusqu’au fameux replat herbeux reconnu en juillet. La vue est splendide vers le nord. Il fait bon retarder encore quelques instants l’entame des quelques 1200m de descente qui nous attend pour rejoindre la voiture. Survolé par un vautour solitaire alors que nous plongeons vers la vallée, j’envie une fois de plus mes amis montagnards et parapentistes et rêvasse d’une glissade délicate dans le ciel, porté par un vent amical loin au dessus des sentiers caillouteux, observant goguenard le simple randonneur dégringolant le versant de lacets en replats dans le grincement sourd de ses genoux douloureux…